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L'émergence d'un cannabis made in France

La demande croissante d'herbe au détriment de la résine marocaine encourage des producteurs qui gagnent 50 000 euros par an pour 10 m2.

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Publié le 10 mai 2014 à 10h06, modifié le 13 mai 2014 à 09h53

Temps de Lecture 6 min.

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Trois cents pieds de cannabis ont été découverts dimanche 4 mai à Nîmes, à la suite d'un début d'incendie, dans un appartement consacré à cette culture illégale. La nouvelle ne surprend plus vraiment. 218 plants ont été saisis à Sevran (Seine-Saint-Denis) en mars, 130 à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) en février. Ce mois-là, 27 plants avaient aussi été repérés en Charente-Maritime chez une retraitée, qui a reconnu vouloir améliorer sa situation.

L'activité est lucrative. Dans un mètre carré, 5 plants sont cultivés. Si chacun produit 30 grammes quatre fois par an, à 8 euros le gramme, cela fait près de 5 000 euros ; 50 000 euros de revenu annuel pour une pièce de 10 m2 – un salaire de cadre supérieur, les risques en plus.

Les consommateurs préférant de plus en plus l'herbe, facile à cultiver en France, à la résine marocaine, le marché s'adapte, rendant le cannabis toujours plus disponible sur le territoire.

Désormais, on trouve de l'herbe partout et, surtout, toute l'année, selon les remontées de Trend, dispositif d'observation du terrain de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Une preuve de l'essor de la culture d'intérieur, qui permet quatre récoltes par an. L'herbe vient des Pays-Bas, peut-être d'Albanie, mais aussi de France. Et plus aucun département n'est épargné.

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CANNABICULTEUR CONSOMMATEUR, SOCIAL OU COMMERCIAL

Finie donc la seule « culture du placard » à usage personnel, à laquelle s'adonnent plus de 80 000 cannabiculteurs-consommateurs voulant éviter mauvaise qualité, alimentation des mafias et contact avec les dealers. Le paysage change. Le sociologue David Weinberger (Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice) décrit d'autres profils, comme celui du cannabiculteur dit social, qui fournit son entourage ou est membre d'un cannabis social-club où l'on partage frais et récolte.

A cela s'ajoute un troisième profil, celui du producteur commercial. On y trouve les réseaux mafieux, notamment des Vietnamiens cultivant à très grande échelle. Mais aussi des particuliers, parfois issus d'un cannabis social-club, qui ont décidé de transformer leur passion en activité lucrative. Cette catégorie « commerciale » est toutefois la plus petite. « De tels producteurs sont rares, environ 5 % des interpellés », précise M. Weinberger. Parmi eux, on trouve des chômeurs, des retraités, signe d'un possible effet-crise.

« Dix à quarante plants cultivés dans un appartement, on a commencé à l'observer à partir de 2010. Cela s'est inscrit dans les pratiques. Désormais, une grande partie de l'herbe est produite localement à Toulouse », explique Guillaume Sudérie, coordonnateur du site Trend de Toulouse.

MAGASINS SPÉCIALISÉS DANS « L'HORTICULTURE D'INTÉRIEUR »

Autour de Lille, les observateurs de Trend repèrent ces derniers temps de grosses plantations liées à des réseaux qui n'hésitent plus à investir dans l'immobilier pour développer leurs cultures. En avril, dans une maison de Marcq-en-Baroeul, 365 pieds ont été trouvés. La saisie totale s'est élevée à plus de 600 plants dans plusieurs habitations.

Autre nouveauté, l'installation à Lille depuis deux ans de deux growshops, ces magasins officiellement spécialisés dans l'horticulture d'intérieur. Ceux qui les fréquentent n'y achètent pas leurs lampes et systèmes de ventilation pour faire pousser des tomates-cerises. Le site GrowMaps.com recense plus de 400 enseignes en France.

« Le phénomène de culture massive a déjà pris, et il augmente », estime-t-on à l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS). Plus d'une centaine de structures de plus de 50 pieds sont démantelées chaque année en France métropolitaine. Cinquante pieds, c'est loin des plus de mille plants de certaines « cannabis factories », mais cela permet déjà de confortables profits.

1,2 MILLION DE FUMEURS RÉGULIERS

La France est l'un des pays d'Europe où l'usage du cannabis est le plus élevé, notamment chez les adolescents. Avec 500 000 fumeurs de joints quotidiens et 1,2 million de fumeurs réguliers, le marché est énorme. Au cours des années 1990 et du début des années 2000, l'usage a doublé et la consommation de « shit » s'est ancrée dans la société. Ce qui a suscité une professionnalisation des trafics. Puis la consommation s'est stabilisée à un niveau élevé, et l'offre s'est pérennisée.

Aujourd'hui, l'heure est à la diversification. « C'est classique en économie. Le marché est arrivé à maturité, nous sommes entrés dans une phase de création de niches et de montée en gamme », explique Michel Gandilhon, spécialiste de l'offre à l'OFDT. Diverses qualités de résine, d'herbe aussi, produits de synthèse, il en faut pour tous les goûts. Avec pour conséquence une hausse de la teneur en principe actif, le THC, qui inquiète. Selon l'Institut national de la police scientifique, en 2013, le taux de concentration moyen était de 17 % pour la résine, et 12,5 % pour l'herbe. Contre 7 % à 8 % il y a dix ans.

Difficile de recueillir des données sur un produit interdit. L'herbe représenterait près de 40 % de la consommation, selon l'OFDT. « La part de l'herbe croît, mais dans une mesure que nous avons du mal à connaître », estime cependant Matthieu Pittaco, chef de la division du renseignement et de la stratégie de l'OCRTIS. En 2013, 71 tonnes de résine ont été saisies, contre 4,75 d'herbe. Mais il reconnaît que les forces de l'ordre sont mieux rodées à l'interpellation des trafiquants de résine qu'à la détection de la culture.

FACILE À TROUVER ET PAS CHER

Les revendeurs, eux, « se cachent de moins en moins. Il n'est pas rare qu'ils envoient des SMS pour prévenir d'un nouvel arrivage ou proposer des promotions », explique Gregory Pfau, membre de Trend à Paris.

Trouver de l'herbe ou de la résine n'est plus un problème, où que l'on soit. Selon l'OFDT, 50 % des lycéens jugent le cannabis assez ou très facile d'accès, et seulement 15 % estiment qu'il leur serait impossible de s'en procurer. Des taux qui diffèrent peu de ceux observés pour l'alcool et le tabac, interdits de vente aux mineurs.

Pour un rapport sur « La transgression des lois réglementant l'usage de drogues » remis en mars au ministère de la justice, l'économiste Pierre Kopp (Paris-I) et son équipe ont mené une étude auprès de consommateurs de stupéfiants : « Ce qui ressort, c'est l'incroyable facilité d'approvisionnement en cannabis. Aucun ne parle de difficulté à en trouver, contrairement à la cocaïne, pour laquelle il y a des ruptures d'approvisionnement. » Sans parler du coût : on se procure du cannabis pour 10 euros, quand il en faut 60 pour de la cocaïne.

Alors que le cannabis représente un problème de santé publique chez les jeunes et d'insécurité dans les cités, l'économiste réfléchit en matière de « coût complet » : prix du produit, risque d'être violenté, arrêté, sanctionné, coût de la stigmatisation et pour la santé. Selon lui, l'ensemble est peu élevé pour le cannabis par rapport aux autres drogues, licites ou pas. Ce qui explique la forte demande.

Les données manquent. La dernière étude sur le marché et ses acteurs – plus de 100 000 personnes en vivraient – évaluait en 2007 les ventes à 832 millions d'euros par an en France. L'économiste qui l'avait réalisée pour l'OFDT, Christian Ben Lakhdar, aujourd'hui à l'Université catholique de Lille, estime que le chiffre a pu un peu augmenter depuis. « La seule incertitude, c'est la part de l'auto-culture », estime-t-il. Il devrait bientôt se lancer avec d'autres dans une nouvelle étude sur le marché.

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