Reportage

Les Cannabis Social Clubs forcent la loi

Cannabis pour tous ?dossier
Les 425 clubs de producteurs de cannabis prônent un usage maîtrisé et, pour défier le gouvernement, vont déposer leurs statuts en préfecture.
par Willy Le Devin
publié le 15 février 2013 à 21h46

Ils sont chefs d'entreprises, éducateurs spécialisés, universitaires, produisent eux-mêmes le cannabis qu'ils fument, et entendent «renverser la prohibition». De la marijuana, ils prônent un usage modéré et régulé sans en nier les dangers, surtout pour les jeunes. Pour ce faire, ils ont copié un modèle qui existe depuis vingt ans en Espagne (lire page 4) : le Cannabis Social Club (CSC). Associations officieuses à but non lucratif, on compterait 425 CSC sur l'ensemble du territoire français.

Le principe est simple : on paie les charges de l'installation au prorata de sa consommation, et on met la main à la pâte pour faire tourner la plantation. Selon Dominique Broc, le leader du mouvement en France, le phénomène implique aujourd'hui entre 5 000 et 5 700 consommateurs. «Quand, j'ai lancé le premier CSC français, en 2009, nous n'étions qu'une poignée. Désormais, il ne se passe pas un jour sans que je reçoive des appels de personnes voulant adhérer. Je suis complètement débordé», concède-t-il. De l'encadrement dépend pourtant la réussite de l'opération.

«Confiance». Les CSC affichent un règlement intérieur précis afin qu'aucun membre ne tombe dans la vente sous le manteau et ne décrédibilise, de ce fait, l'ensemble du mouvement. «Je veille à ce que les clubs n'excèdent jamais les 20 membres. Les recrutements se font uniquement par cooptation, prévient Dominique Broc. Les CSC doivent rester cantonnés à des cercles d'amis ou de connaissances. Tout repose sur la confiance.» Et la solidarité. Les adhérents des CSC se considèrent comme «des désobéisseurs civils». Si l'un d'eux venait à se faire pincer par les autorités, tous demanderaient à être jugés en tant que producteurs de stupéfiants en bande organisée par la cour d'assises spéciale prévue à cet effet. Les risques ? Ils sont stipulés par l'article 222-35 du code pénal : trente ans de réclusion criminelle et 750 000 euros d'amende. Mais cette perspective n'inquiète pas Dominique Broc. Il invoque d'abord une décision-cadre de l'UE, datant d'octobre 2004. Celle-ci affirme que «les Etats membres garantissent que la culture de plantes de cannabis, effectuée illégalement, est un délit punissable». Mais un autre article, le 2.2, précise que «ne sont pas inclus dans le champ d'application les auteurs qui s'y livrent exclusivement à des fins de consommation personnelle telle que définie par la législation nationale». En France, on pourra cependant leur objecter qu'aucune consommation personnelle n'est tolérée.

Statuts. Néanmoins, Dominique Broc estime qu'une répression «serait intenable politiquement pour le gouvernement». Pour trois raisons : «D'abord, parce qu'il y a, au sein même de la majorité, de nombreux partisans de la dépénalisation. Ensuite, parce que nous cultivons nous-mêmes du cannabis pour ne pas recourir au marché noir, car le produit que l'on y glane est bien souvent coupé au plomb ou au verre pilé, ce qui est très dangereux pour la santé. Enfin, parce que l'objectif des CSC n'est pas l'incitatif. Nous comptons peser dans le débat sur la prévention et la réduction des risques.»

Désireux de sortir définitivement du bois, Dominique Broc ira déposer les statuts de la Fédération des Cannabis Social Clubs Français (FCSCF) le 4 mars, à la préfecture de Tours. Si aucune réponse policière n'intervient, il considérera qu'il s'agit d'une tolérance tacite et tous les CSC de France feront la même démarche le 25 mars. «Il faut en finir avec l'hypocrisie française sur le cannabis. On a une législation totalement ringarde en la matière. Il y a quelques mois, Vincent Peillon s'est fait tancer pour n'avoir voulu que rouvrir un débat légitime. Regardez à côté, les ravages causés par l'alcool… Fumer ne mène pas obligatoirement à la désocialisation», plaide Broc, sécateur en main.

Dans sa maison, près de Tours, toute une pièce est dédiée à la plantation. Les lampes à sodium sont cadencées par des minuteurs qui se déclenchent à heure fixe. Les plantes ont besoin de douze heures «d'ensoleillement quotidien». Entre midi et deux, David, l'un des historiques, vient récupérer son pochon d'herbe. Chauffeur de taxi, il ne fume que le week-end : «Je convoie des clients, alors pas question de déconner la semaine. Le but du CSC, c'est de montrer qu'on peut consommer du cannabis et avoir une vie normale.»

Inhaler. Dans leur club, il y a aussi Séverine, 44 ans. Souffrant de spasmes musculaires, elle s'est mise au cannabis par nécessité, à 30 ans passés. «La France est à la bourre sur l'usage médical de la plante. Aux Etats-Unis, le marché du cannabis thérapeutique représente 2 milliards de dollars. Ça n'en fait pas un pays de dépravés», ironise Broc.

Au CSC tourangeau, on milite aussi pour la fin du pétard traditionnel. Le bon vieux «splif» aurait vécu. Place désormais aux vaporisateurs qui permettent de n'inhaler que les émanations de cannabis. «Comme ça, on rompt avec la dépendance au tabac et on ne pâtit pas des effets de la combustion. Les modes de consommation évoluent positivement, dommage que les clichés sur les fumeurs de cannabis réputés apathiques aient la vie dure, regrette Dominique Broc. C'est toute une génération [lire ci-contre] qui vit désormais avec le cannabis.»

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