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Grand Angle  

Maroc : Le kif, une drogue néfaste pour l’environnement rifain

Connue notamment pour la culture du cannabis, la région du Rif en paie le prix écologique. Des associations locales de défense de l’environnement ont lancé l’alerte.

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Des champs de cannabis à Issaguen dans le Rif, le 23 mai 2013 / Ph. Fadel Senna (AFP)
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Dans un article fouillé, EFE est récemment partie à la rencontre d’acteurs associatifs locaux du Rif, qui alertent sur les dangers environnementaux de la culture non réglementée du cannabis. Mohamed Andaloussi, président de l’Association Azir, en fait partie. Cela fait plusieurs années qu’il œuvre, depuis Al Hoceïma, pour la protection de cet écosystème montagneux.

Cité par l’agence de presse espagnole, il estime que les champs de cannabis représentent près de la moitié de la superficie des hauteurs rifaines, étendues sur environ 20 000 km² et comprenant les provinces de Tétouan, de Chefchaouen, d’Al Hoceïma et de Nador.

L’expansion du cannabis se fait aux dépends des ressources naturelles

Le militant explique à EFE que «90% des terres où le cannabis est cultivé représentent plus de 47 000 hectares selon des données récentes. Ce sont des biens publics, exploités illégalement par les agriculteurs. En effet, la majeure partie de ces terres constituait des forêts, défrichées depuis pour être remplacées par le cannabis». Des parcelles, souvent familiales, sont même dotées de système de goutte-à-goutte.

Mohamed Andaloussi pointe du doigt cette activité comme une cause directe de la disparition du chêne-liège méditerranéen dans la région. En effet, l’exploitation intensive a fait perdre à la terre sa fertilité en un temps record, faute d’arbres et de végétation variée, ce qui a accentué par ailleurs les phénomènes d’érosion. Les cédraies n’en sont pas moins impactées, rappelle EFE, puisqu’elles subsistent désormais dans les hauteurs dépassant 1 500 mètres d’altitude, les mêmes prisées par les agriculteurs de cannabis.

«C’est une catastrophe pour le cèdre, une variété d’arbres menacée au Maroc, de même que pour les espèces animales qui y trouvent refuge, comme certaines variétés d’écureuils, de piverts, ou encore le macaque qui a disparu du centre du Rif», confie Andaloussi. Par ailleurs, l’homme rappelle que la culture du cannabis consomme beaucoup d’eau, en plus des usages intempestifs d’engrais pas les agriculteurs, qui espèrent augmenter leur production de la sorte, oubliant la pollution des nappes phréatiques.

Cette situation n’est pas un cas isolé, d’autant plus que le phénomène est observé dans d’autres régions du monde où se concentre cette activité agricole, avec des ampleurs effrayantes. En janvier dernier, le site de l’hebdomadaire québécois La Presse est revenu sur les conséquences de la culture extérieure du cannabis aux Etats-Unis. Il cite une étude publiée par le département des Pêches et de la faune en Californie, Etat fédéral autorisant cette activité, selon laquelle cette «industrie utilisait beaucoup d’eau de rivières où les populations de saumon sont menacées».

L’auteur principal de l’étude, Scott Bauer, a indiqué que «les chercheurs avaient travaillé à partir d’une estimation de l’industrie, selon laquelle un plant de cannabis aurait besoin d’environ 22 litres d’eau par jour. En comparaison, un plant de raisin utilisé pour le vin consomme environ 12 litres d’eau». Par ailleurs, «plusieurs serres en Californie utilisent aussi des lampes, ce qui suscite des inquiétudes sur leur consommation d’énergie et la pollution lumineuse qu’elles projettent à l’extérieur», selon le chercheur.

Le prix d’une paix sociale qui ne serait pas éternelle

Dans le Rif, l’agence de presse espagnole s’est également entretenue avec le chercheur Cherif Aderdag, qui explique que la culture du cannabis devient même «un élément d’instabilité sociale», en raison des conflits liés à la rareté de l’eau et des terres arables. «Cette situation est exactement ce que l’Etat voulait éviter, en fermant les yeux sur l’expansion de cette activité», souligne la même source.

Citant le chercheur, elle rappelle par ailleurs que les autorités marocaines ont permis la culture du cannabis dans le Rif, comme une manière d’«acheter la paix sociale». «Ce n’est pas un hasard si lors des élections, la population du centre du Rif (où cette culture est concentrés) a préféré voter pour les candidats les plus tolérants à la destruction des forêts», ajoute le chercheur auprès d’EFE. De son côté, l’émission Thalassa avait consacré un reportage qui est revenu amplement là-dessus.

«Le cannabis n’est plus un objectif pour les agriculteurs. C’est un gagne-pain. Ceux qui en vivent nous disent être prêts à abandonner cette activité, s’ils trouvent une alternative économique», déclare encore Aderdag au média espagnol. Par ailleurs, il estime comme prioritaire la mise à niveau la réserve naturelle sur le mont Tidirhine pour sauver l’environnement de la région et sa biodiversité.

Situé au cœur des tribus de Senhaja Srayr, le mont qui culmine à 2 456 mètres est le plus haut de la région. Il accueille la plus grande superficie de cèdres dans le Rif, mais reste en situation de fragilité, en l’absence de mesures d’urgence. Une alerte que les associations locales avaient lancée depuis au moins 2014.

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